lundi 12 mars 2012

Un fonctionnaire, ça fonctionne!

Evidemment, à force de pointer les absurdités de mes élèves, vous devez vous dire que les professeur sont eux-mêmes des chef-d'oeuvres de cohérence et de rigueur. Hum.

Une des premières choses que j'ai regrettées intégrées en intégrant la Grande Famille de l'Education Nationale est que l'élève est intouchable. On a interdit depuis longtemps les châtiments corporels. Même si une bonne claque pourrait parfois remettre les idées en place, il est évident que là n'est pas la solution. On en a donc conclu qu'il fallait interdire toute punition qui risque de traumatiser, humilier voire perturber nos chers petits chéris.

D'où la superbe invention de la punition pédagogique. La punition ne doit plus faire passer aux enfants l'envie de recommencer leurs bêtises mais bien leur apprendre quelque chose.
Concrètement:
Autrefois, on faisait copier des lignes. Par centaine. Si si.
Et bien aujourd'hui, INTERDIT! Le bon prof bannira cette copie sans le moindre sens et abrutissante, et choisira soigneusement du travail à donner à l'élève, comme des exercices supplémentaires ou des travaux de recherches, par exemple.
Je suis une mauvaise prof. Je donne des lignes à copier à mes élèves. Mais je détourne. Ils copient leur cours de français. Comme ça ils l'auront au moins révisé une fois dans leur vie. Et s'ils me cherchent, ils copieront aussi le texte qui va avec. Quitte à copier les trois tomes du Comte de Monte-Cristo, (que ne ferai-je pas pour la diffusion de la culture!)

Autre grande tradition: le coin. Le piquet, si vous préférez. Le petit chenapan qui préfère tirer les cheveux de la fille de devant plutôt que d'accorder ses verbes au subjonctif sera mis à l'écart face à un mur dont il n'a pas l'autorisation de se détourner, de préférence avec un couvre-chef aussi élégant que gratifiant:

Ca aussi: INTERDIT! Humiliante, discriminatoire, cette punition met clairement un élève au ban de la classe et cela, impensable dans cet espace sacré d'apprentissage de la vie en communauté.
Question de la mauvaise prof: quelle solution avons-nous trouvé, à l'échelle de l'état, pour empêcher un trublion peu concerné par la vie en communauté de ruiner celle des autres, à part de le mettre à l'écart? J'attends vos conseils éclairés, monsieur le Président...
Bref, éviter la stigmatisation, après tout, l'intention est louable. Le bonnet d'âne, on oublie donc. Par contre, là où tout le monde prétend que mettre un élève au coin est humiliant, personne n'exclut le fait de le mettre tout seul à une table au fond de la salle, les inspecteurs accompagnant même cette décision de l'interdiction de sortir le moindre matériel de son sac. Expliquez-moi la différence avec un bon vieux piquet, je vous le demande...
Je suis une mauvaise prof: j'ai mis des élèves au coin. Et j'assume. Mais je ne suis pas inhumaine: je leur donne une chaise.


Je vous passe les instructions concernant le langage à adopter tant face aux élèves que sur les copies, qui doit toujours être positif et valorisant! On ne dit donc pas "Tu fais trop de bruit!" mais "Concentre-toi", "Tu n'as pas travaillé" mais "Travaille davantage", "N'écris pas sur la table" mais "Quelqu'un peut lui donner une feuille?"

De quoi devenir schizo? Vous n'avez rien vu.

Il y a quelques années, un nouveau concept barbare innovant est entré dans nos programmes: la méthode inductive. L'élève doit être acteur de son savoir, et construire par lui-même la notion qu'on veut lui faire acquérir. Exit donc le bon vieux cours de grammaire où l'on écrit la règle au tableau pour l'apprendre par cœur et l'appliquer ensuite.
C'est beau, hein?
En pratique, ça veut dire qu'à partir d'un texte ou, à défaut, d'exemples soigneusement choisis, l'élève doit pouvoir trouver la règle grammaticale qui constitue l'objet du cours. Si l'intention est là encore bien louable et fonctionne même plutôt bien dans certains cas, l'obsession de donner du sens à tout entraîne parfois au summum de l'absurdité et à des questions dont on a bien du mal à trouver une réponse. Pourquoi "choux" prend un "x" au pluriel et "fous" prend un "s", d'abord? Et comment on définit les verbes du 3ème groupe? Et les adverbes? Et pourquoi "j'appelle" prend deux "L" et "je gèle" n'en prend qu'un? PARCE QUE C'EST COMME CA!!!! PARCE QUEEEEEEEE!


Pour continuer dans les drôles de décisions didactique, en Français, nos programmes font le choix du décloisonnement. En court, ça signifie que les différents domaines de notre matière (lecture, écriture, grammaire) doivent être abordés en lien les uns avec les autres. La lecture et la grammaire doivent être pensées dans ce qui pourra être utile à l'élève pour produire son propre texte. Là encore, on donne du sens à l'apprentissage du français, et ce n'est pas plus mal.
Oui sauf que depuis, une nouvelle nouveauté, l'évaluation par compétence vient de faire son entrée. Pour chaque élève, je dois cocher une case disant que l'élève maîtrise les fonctions grammaticales, l'orthographe lexicale, l'écriture d'un texte de 15 lignes et la lecture d'un texte en autonomie.
En d'autres termes, les cours doivent mélanger les compétences. Mais il faut les évaluer séparément. Débrouillez-vous avec ça (et pour le faire comprendre aux élèves).

Mais de quoi je me plains? C'est mon cours tout ça.

Parce que depuis quelques années, une nouvelle épreuve vient de faire son apparition au Brevet des Collèges: l'Histoire des Arts. Les élèves doivent donc être préparés à passer cette épreuve orale. Mais il n'y a pas de cours d'histoire des arts, au collège. Tous les professeurs sont sollicités pour faire une petite place à ce domaine dans leur cours, en lien avec leur propre programme bien sûr.
Une épreuve, mais ni cours, ni programme.

Une petite dernière?

Vous le savez: en cas de fortes chutes de neiges, les bus scolaires ne passent pas. A nous de nous débrouiller pour occuper les quelques élèves qui nous restent, toujours un vrai casse-tête... Jusqu'à un jour, en veille de vacances, où la note suivante nous est communiqué le matin: "Suite aux intempéries, le conseil général a pris la décision d'annuler tous les transports scolaires ce vendredi. Néanmoins, les établissements scolaires resteront ouverts pour l'accueil des élèves, en prenant soin de ne pas avancer dans les programmes."
Vous avez bien compris. Je dois aller travailler, mais interdiction de travailler.

Je ne m'étonne plus de rien.

3 commentaires:

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Anonyme a dit…

Je suis aussi une mauvaise prof! Hier, j'ai été convoquée dans le bureau du principal qui me "réprimande"! Grands dieux de la Pédagogie et de l’Education! J'ai commis l’irréparable faute d'avoir placé des élèves de sixième au coin, parce qu'après leur avoir pris leur carnet et les avoir menacés à de très nombreuses reprises, ils ne cessaient ni de bavarder ni de perturber le cours. C'est une sanction humiliante... Mais M. le principal que faire alors lorsque vous ne pouvez pas déplacer un élève, que vous ne disposez d'aucune table de libre dans la salle que vous occupez et qu'on vous signifie qu'il ne faut pas exclure les élèves du cours? Il m'a bien parlé de faire mettre une table devant ou au fond de la classe... En quoi une "table du puni" est-elle moins stigmatisante? Par ailleurs, la mise au coin est assez efficace; de façon générale après quelques minutes de réflexion, l'élève revient à sa place, calmé et reprend son travail. Le reste de la classe peut donc bénéficier de l'enseignement auquel il a le droit. Je peux concevoir qu'un élève se sente humilié d'être isolé du groupe parce qu'il n'aurait pas su sa leçon, pas réussi à réaliser un exercice. Mais lorsqu'il empêche délibérément le groupe de travailler, j'ai des réserves... Il s'agit simplement d'isoler quelques instants un élève du groupe pour lui permettre de réfléchir à sa conduite tout en lui permettant de le réintégrer rapidement s'il est en mesure de le faire et de profiter de l'enseignement auquel il a le droit; ce qu'une exclusion du cours ne permet pas.