vendredi 13 juillet 2012

Passe ton brevet d'abord!

Certes, le brevet des collèges n'a pas la même aura que le baccalauréat, mais il apporte tout de même son lot de stress pour les jeunes candidats de quinze ans qui le subissent, ne lui ôtons donc pas toute valeur. D'autant plus que vu son lot de questions stupides et de perles rutilantes, il a toute sa place ici. 

Nous voici donc au brevet de Français, la première échéance qui détermine le niveau de maîtrise de la langue française d'une immense majorité des adolescents français. Rappelons-le, le Diplôme National du Brevet (DNB pour les initiés, en bonne administration l'EN (Education Nationale) raffole des sigles obscurs) se déroulait cette année les 28 et 29 Juin.
Alors certes, nous n'avons pas eu un printemps exceptionnel et certes, l'été a mis du temps à s'installer. Mais tout de même. Nous autres professeurs bien intentionnés avions pris la peine de prévenir nos chers petits qu'en Juin, un étonnant phénomène climatique pourtant cyclique et auquel ils devraient être plus ou moins habitués se produit, à savoir l'été. Parfois même, il s'accompagne d'un véritable marronnier pour David P., Élise L., Jean-Pierre P. et Claire C. dans les différents JT à savoir la canicule, (souvenir douloureux d'une bachelière de 2003). 


En d'autres termes, un minimum de prévoyance s'impose lorsque l'épreuve se déroule de 14h à 16h (où si vous êtes sages, vous ne vous exposerez pas au soleil, n'est-ce pas?): 

Mélu: Pensez à apporter une petite bouteille d'eau, il risque de faire chaud...
Kévin: On peut amener du coca?
Mélu: Evite, ça fait du bruit quand tu l'ouvres...
Kévin: Mais non, ça fait pas de bruit, franchement ils abusent les autres si ça les dérange!
Mélu: Kévin, je comprends tout à fait au vu de tes trois bulletins que ton intérêt pour le brevet reste, même en ce 15 Juin, très limité, néanmoins je te recommande d'éviter de déranger des voisins hargneux pour qui l'enjeu est réel et/ou un surveillant de salle un tantinet tatillon...

Verdict le jour de l'épreuve.
Nombres de candidats: 102.
Nombres de bouteilles d'eau: 1 (j'ai compté).

Mais comme d'habitude, le collège avait anticipé le manque total de bon sens  l'étourderie due probablement au stress incommensurable de cette épreuve aussi attendue que redoutée: trois grandes glacières pleines de bouteilles d'eau fraîches les attendaient dans la salle d'examen pour l'épreuve de l'après-midi. 
Ce qui fait que le lendemain, à 8h30, avant même de préparer leurs copies ou que le sujet soit distribué, des dizaines de mains se sont levées: "ON PEUT AVOIR DE L'EAU?!"
Formez des assistés... c'est vrai qu'à 8h 30 du matin, une bouteille d'eau est THE urgence du moment.
Manque de chance, je surveillais ce matin-là. Je suis une mauvais prof...

- On n'en a prévu que pour les situations qui le demandaient, c'est-à-dire l'après-midi. Si vous vouliez plus, il fallait prendre vos dispositions.

Et ouais, pas de bras, pas de chocolat.

Vint ensuite le doux moment des corrections. Dans notre belle région, les candidats étaient invités à réfléchir sur un texte racontant l'histoire d'un calife qui, ayant perdu son chef cuisinier, organise une compétition de cuisine pour départager les deux postulants, mais se retrouve bien dépourvu en constatant que les deux lui servent exactement le même plat.
Ahem.
Quand on a passé l'année à faire travailler les élèves sur les buts de l'autobiographie, les enjeux de la littérature de guerre ou le fonctionnement de la poésie engagée, on a un moment de perplexité lorsque le sujet de l'examen interroge les élèves sur le conte
Quand je dis qu'on tend à infantiliser nos ados rebelles...

Si les questions ne comportaient aucune grande surprise, la réécriture en revanche a été un vrai festival.  Il s'agissait de mettre une phrase au passé composé (peut-être un des temps que les élèves utilisent le plus) et au pluriel.
Tout y est passé.
"Ce fut" transposé au passé composé a donné en vrac "c'eut été", "ce fûmes été", "ce serait été", "c'était", "ce avait été"... 
Mais ce n'est pas le pire. Un peu plus loin, "un plat fin, succulent et original" devait être passé au pluriel. Sur les trente copies que j'ai eu devant les yeux, deux seulement ont réussi à trouver le mot "originaux". Comme en témoigne cette petite conversation éclairante avec une élève après l'épreuve:

- Ba j'ai mis "originals". Ouais, je trouvais que ça faisait bizarre, mais je voyais pas ce que ça pouvait être à part ça...

Quand à la rédaction, hélas, les élèves ont fait preuve de bien peu d'imagination. Pour ma part, dès que j'ai vu le mot "Calife", j'ai pensé à ça:

Et quand un peu plus tard, j'ai vu que le Calife était (dixit le texte) un personnage dont tous craignaient la colère, j'ai espéré quelque chose comme ça: 

 
Mais il faut croire que les élèves ont eu peur et se sont contenté d'un Calife bienveillant, qui demande d'ailleurs à son peuple l'autorisation d'embaucher le cuisinier (ouf, ils n'auront pas versé dans le concept de tyrannie), car seule une copie a essayé de mettre un peu d'action et de vie dans cette histoire. Les plus délurées ont cependant imaginé que le Calife avait été interviewé par un journaliste, dévoilant ainsi ses goûts que les deux cuisiniers s'étaient empressés de satisfaire, ou encore que des caméras avaient été installées dans les cuisines afin de vérifier le travail des cuisiniers:
On sous-estime l'impact de la télé-réalité sur les productions scolaires...

De toutes façons, tout le monde sait bien que s'ils réussissent si bien leurs plats, c'est qu'ils les ont appris à "l'école de cuisinierie".

Sur ce, je suis allée me remettre de mes émotions dans un bon bouquin en me lamentant déjà d'entendre les collègues optimistes et bienveillants annoncer (selon les jours):

- Oh là là, les sixièmes / quatrièmes / troisièmes de l'an prochain, ça s'annonce gratiné!

Sur ce, je vous souhaite un bon été (je n'aurais rien à vous y raconter, je suis au chômage technique) et vous donne rendez-vous en septembre.

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