lundi 22 juin 2015

Lever de rideau!

La lecture, c'est aussi se fabriquer des images mentales, se représenter ce qui se passe dans le texte pour le comprendre. Certains élèves ont parfois du mal à cette opération, notamment sur les textes compliqués.
Une de mes stratégies pédagogiques de mauvaise prof, quand je suis confrontée à ça, consiste à mettre en scène le texte. A fortiori quand il s'agit d'un texte théâtral, sans narrateur ni description, donc qui nécessite un gros travail de remplissage.

Et parfois, je me mets à la place de l'assistant d'éducation (le fameux "pion") qui se balade dans les couloirs pendant les cours pour distribuer et récupérer des informations et qui arrive dans les cours au moment impromptu.

Mettons-nous à la place de Julie, assistante d'éducation zélée, qui ouvre la porte de Mme Mélu

Scène n°1: elle se trouve nez à nez avec le petit Thibaud, élève de 6ème, qui tient la petite Cécile par les cheveux, en levant au-dessus d'elle un stylo menaçant et en lui criant: "Tu vas mourir!"
Et Mme Mélu qui crie: "Attendez une minute!"

Julie se fige. Donne ses papiers, en récupère d'autres et avant de partir, regarde Thibaud, le stylo toujours levé au-dessus de Cécile, immobiles.
Mme Mélu: Tu tombes plutôt bien, nous étions en train de travailler sur la construction du suspens à la fin de Barbe-Bleue!
Et oui, le moment où les deux frères doivent arriver et où la malheureuse épouse doit gagner du temps avant que son mari ne l'égorge...

Mais j'avoue, hors contexte, ça peut surprendre.

Scène n°2: Julie passe dans la salle de Mme Mélu et entend un vacarme de tous les diables. Chocs métalliques, bruits de pas précipités, cris, ... Dans le doute, elle jette un oeil.
Des élèves debout en train de piétiner violemment. Deux se battent à coup de double décimètres. Un autre tape sur son équerre métallique avec un stylo. Les autres braillent. Et Mme Mélu, livre en main, suit attentivement ce bazar avant de s'écrie: "Mais qu'est-ce qui se passe ici??!!!", provoquant un silence de mort.

Puis elle demande: "Alors, qu'est-ce qui s'est passé?"
Jordan: "Ben ya eu de plus en plus de boucan, de plus en plus de bazar jusqu'à ce que vous parliez".
Mélu: "D'accord, et ça montre quoi?"
Bryan: "Bah qu'Othello, c'est le boss parce que tout le bazar s'arrête dès qu'il arrive".
Julie comprend alors que Mme Mélu était en train d'analyser avec ses élèves une scène de Shakespeare et notamment la construction de la tension dramatique sur scène. Avec une grande fidélité au texte puisqu'il s'agissait d'une bagarre entre ivrognes.

Sauf que moi, maintenant, j'ai pigé le truc. Les élèves adooooorent jouer ce genre de scène, d'une part parce qu'ils comprennent tout (+ 10 en pédagogie) et d'autres part parce qu'ils adorent cette occasion de mettre le souk avec la bénédiction de leur professeur en imaginant qu'une personne extérieure ne comprendrait rien.

Du coup, lorsque Julie rentre avec ses papiers en main, et cette fois juste après une scène de ce genre, je ne peux m'empêcher de dire à mes élèves avec un petit sourire entendu:
- Heureusement qu'elle n'est pas arrivée pendant les gifles, hein?
Julie furax: Quelles gifles? Qui a mis des gifles?
Elèves: Ben nous!
Julie: Mais à qui?
Elèves: Ben à la prof!
(prof qui jubile dans son coin devant le regard affolé de la pauvre Julie et ravie que les élèves aient saisi la balle au bond sans s'être consulté)
Mélu: c'est dans la scène 9,  acte II de "La Guerre de Troie n'aura pas lieu".

Oui, je suis une mauvaise prof. Avec mes collègues aussi.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

+1000000 en pedagogie :)
j'espère que le ou la prof de mon fils fera passer ces cours par ce genre de mise en scene mon fils passe essentiellement par l'oral :)pour la compréhension